Je suis heureux de préfacer ce livre qui veut, pour les familles venues d’ailleurs, les plus éloignées de l’école, casser le délit d’initiés qui les empêche souvent de comprendre le fonctionnement et le sens de notre système éducatif.
Caché derrière des dénominations, des sigles, des organisations héritées de l’histoire, ce délit d’initiés vise à maintenir, pour quelques-uns, ce qui devrait être le bien de tous.
Un des symboles qui justifie pleinement ce livre, c’est le fait que la France est un des rares pays d’Europe où il n’y ait pas sur l’école des émissions de vulgarisation sur les grandes chaînes de télévision, comme il y en a sur la santé, la consommation, la décoration, les animaux domestiques, la chasse, la pêche, etc.

Cet ouvrage, a priori destiné aux formateurs et aux associations travaillant avec des familles venues d’ailleurs, peut également être utile pour tous ceux qui sont partis tôt d’une école qui s’est profondément transformée depuis une quarantaine d’années dans ses contenus, ses finalités, son organisation, etc.

Non seulement l’école s’est transformée, mais aussi la famille. Il n’y a plus aujourd’hui une famille-type, mais des familles dans la diversité de leur composition et de leurs parcours, de leur fonctionnement sur lequel chacun doit s’efforcer de ne pas porter a priori de jugement stigmatisant.

[…] L’ouvrage ne cache pas le goût de notre société et de notre école pour le sigle, généralement incompréhensible aux non-initiés.
Ce goût du sigle poussé à l’extrême joue un rôle très ségrégatif vis-à-vis de familles peu familiarisées avec ces acronymes. Et encore, l’ouvrage n’a pas évoqué le comble de la complexité atteint par les sigles choisis pour les séries technologiques des lycées dont on se demande si le choix effectué pour de tels sigles ne vise pas, tout simplement, à laisser les jeunes et leurs familles aux mains d’experts compétents pour les comprendre. Qu’on en juge avec des sigles comme STI2D ou STD2A !

Mieux comprendre l’école, c’est aussi comprendre les principes qui la font fonctionner.
• La gratuité
Le principe de la gratuité de l’enseignement primaire public a été établi par la loi Jules Ferry du 16 juin 1881. La gratuité a été étendue à l’enseignement secondaire par la loi du 31 mai 1933.
• La laïcité
L’enseignement public est laïque depuis les lois du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886. Ces lois instaurent la laïcité des personnels et des programmes : pas d’instruction religieuse, interdiction du prosélytisme et de la propagande dans l’école.
• L’obligation scolaire
Depuis les lois de Jules Ferry (1881-1882), l’enseignement est obligatoire. Cette obligation s’applique à partir de 6 ans pour tous les enfants français ou étrangers résidant en France.
En France, depuis l’article L.122-2 du code de l’Éducation (mise à jour de 2003), l’obligation scolaire n’est plus seulement définie pour sa fin en termes d’âge, mais de qualification à acquérir :

  • « Tout élève qui, à l’issue de la scolarité obligatoire, n’a pas atteint un niveau de formation reconnu, doit pouvoir poursuivre des études afin d’atteindre un tel niveau. L’État prévoit les moyens nécessaires, dans l’exercice de ses compétences, à la prolongation de scolarité qui en découle.
  • Tout mineur non émancipé dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l’âge de seize ans.
  • Lorsque les personnes responsables d’un mineur non émancipé s’opposent à la poursuite de sa scolarité au-delà de l’âge de seize ans, une mesure d’assistance éducative peut être ordonnée dans les conditions prévues aux articles 375 et suivants du Code civil afin de garantir le droit de l’enfant à l’éducation. »

Cet article est extrêmement important, notamment par l’emploi du verbe « doit » qui implique une obligation.
Il explique que toutes les expulsions de jeunes sans-papiers de plus de 16 ans basées sur la « coutume » d’un âge terminal de la scolarité obligatoire aient été systématiquement, ces dix dernières années, annulées par les tribunaux administratifs et le Conseil d’État, car le jeune n’avait pas « atteint un niveau de formation reconnu » (au minimum un CAP) comme l’indique le droit écrit, seule référence possible.

L’ouvrage a également raison d’insister sur la spécificité française qui fait qu’enseignement supérieur n’est pas en France synonyme d’université.
Cette approche est importante pour des populations qui pourraient projeter sur la France ce qui est la situation d’autres pays.
En France où en 2011 plus d’un jeune sur deux de la classe d’âge est diplômé de l’enseignement supérieur, la voie technologique rencontre aujourd’hui un succès important. Elle est de très loin la première voie d’accès à l’enseignement supérieur.
C’est ce qui explique qu’en 2010, comme l’indiquent les chiffres publiés par le ministère concerné, il y ait en France 2 318 700 étudiants dont seulement environ un peu moins de 1 100 000 étudiants inscrits dans les universités, soit 47,4 %. Et les chiffres sont encore plus significatifs après le baccalauréat puisque les inscrits en Licence 1 de licence à l’Université ne représentent que 24 % des bacheliers comme l’indique la note 11.08 du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette situation est un héritage. Il y a toujours eu historiquement séparation en France entre « l’Université » et les formations supérieures de ce que j’appellerai, pour prendre un terme médiéval, les « corporations ». D’où l’existence en France, indépendante des universités par exemple, de l’école dentaire, de l’école vétérinaire, du CFJ pour les journalistes, de l’école du Louvre, de celle des Ponts ou des Mines, de la Fondation des Sciences Politiques, etc. Cette séparation, historiquement, s’étendait même à la formation des enseignants avec les écoles normales primaires ou supérieures…

Enfin, l’ouvrage se termine sur un certain nombre de points : l’emploi du temps, le bulletin scolaire, les manuels qui sont souvent au cœur des difficultés des enfants « non-initiés » dans le cadre de la liaison entre le CM2 et la 6e, où un jeune non familiarisé par ses parents au fonctionnement de notre système éducatif, risque de rencontrer six obstacles :

1. Un autre langage
Le jeune se trouvait dans une école primaire qui fonctionnait par cycles et avec des dénominations comme cours préparatoire, cours élémentaire, cours moyen. Il passe au collège où, héritage napoléonien, le décompte des classes se fait par rapport aux années avant d’atteindre le baccalauréat : 6e, 5e, 4e, etc. Il va découvrir des dénominations non utilisées en primaire : principal, conseiller principal d’éducation, documentaliste, etc.
Le bulletin trimestriel du collège est très différent de celui de l’école primaire.

2. D’un maître à douze enseignants
La classe ne comportait qu’un maître à l’école primaire. L’élève va se retrouver devant douze ou treize enseignants différents. La règle avec un enseignant était facile à comprendre. Avec une douzaine d’enseignants, l’application des mêmes textes risque d’être légèrement différente d’une heure à l’autre. D’où l’importance d’un travail des enseignants sur la cohérence de leurs approches pour éviter une trop grande perturbation aux élèves de 6e.

3. Gestionnaire de la cour de l’école, subissant la cour du collège
L’élève, notamment le garçon, était le « patron » de la cour et des divers espaces de l’école primaire qu’il maîtrisait bien. Il va se retrouver au collège dans un espace dont il ne possède pas toutes les clés, ce qui peut générer une certaine angoisse.

4. Le grand de la primaire, le petit du collège
En CM2, le ou la jeune était le « grand » ou la « grande » de l’école. En 6e, il se retrouve le petit dernier avec des élèves qu’il juge « beaucoup plus âgés » et « peu accueillants ». Un sondage réalisé à propos de la journée de lutte contre l’échec scolaire montre, en 2010, que plus de 80 % des jeunes jugent qu’ils sont bien accueillis par les enseignants et l’administration et seulement 50 % jugent l’accueil des autres élèves du collège « satisfaisants ». La crise d’identité générée par ce changement de perspective peut être d’autant plus grave qu’elle se situe au tout début de l’entrée dans l’adolescence.

5. Une autre organisation du travail et des devoirs
Enfin, l’organisation du travail n’est pas la même entre le CM2 et la 6e. Au collège, les devoirs peuvent être pour le lendemain ou pour dans trois jours ou huit jours. Organiser son emploi du temps est un enjeu primordial pour l’élève ; il doit être aidé, notamment s’il vient d’une famille où personne n’a été scolarisé en collège.

6. L’utilisation des manuels scolaires
Au collège, le jeune aura à sa disposition, dès la 6e, un manuel par discipline, alors qu’à l’école primaire, peu de manuels sont utilisés. Les études menées ont montré que savoir utiliser un manuel scolaire était un prérequis important pour une scolarité réussie en 5e ; d’où la recommandation de la circulaire de rentrée 2001 d’utiliser en primaire et notamment en CM2 des manuels scolaires qui permettent « aux professeurs de disposer d’outils pédagogiques de référence et aux élèves de consolider leurs apprentissages… On n’enseigne pas sans livre, pas plus que l’on n’apprend sans livre. »

Cette méthode est donc très utile, indispensable pour tous ceux qui sont appelés à travailler avec des familles non francophones.
Il les aidera à mieux s’investir dans une école à la porte de laquelle elles ne doivent pas rester. Loin d’être démissionnaires comme le prétendent certains, ces familles sont très souvent soucieuses de comprendre et d’aider leurs enfants durant leur scolarité.
Pour rentrer dans l’école française, il faut un bon trousseau de clés pour ouvrir toutes ses portes parfois si complexes et je pense que cette méthode est effectivement un bon trousseau de clés offert aux formateurs pour aider les familles à pénétrer le monde de l’école et à y rester afin d’épauler l’action des enseignants pour la réussite scolaire de leurs enfants.

Jean-Louis Auduc
Ancien directeur des études de l’IUFM  de Créteil/Université Paris-Est Créteil